On s'intéresse au problème du pendule double : un pendule
de masse $m_1$ est suspendu à une tige de longueur $l_1$,
dont l'autre extrémité est fixe. Un second pendule de
masse $m_2$ est reliée au premier par une tige de longueur
$l_2$.
On note $\theta_1$ et $\theta_2$ les angles que font
respectivement les deux tiges avec la verticale.
On peut alors montrerC'est un exercice pénible de mécanique du point niveau L1, rendu plus simple par des outils plus sophistiqués (comme le Lagrangien...) que le système est régi par
les équations d'évolution suivantes:
(Voir cette page pour les preuves.)
Hors cas très particulier, on ne peut pas trouver d'expression
pour la solution exacte de ces équations.
Vous pouvez utiliser le formulaire ci-dessous pour
modifier les valeurs des paramètres et des conditions initialesDonnés sans dimension.. Cliquez alors sur simulerLa méthode de Runge-Kutta d'ordre 4 est
utilisée pour toutes les simulations..
Paramètres :
Conditions initiales :
Dépendance aux conditions initiales
Temps max
Un système chaotique
Après Newton et l'âge d'or de la
mécanique classique (XVII et XVIIIèmes siècles),
le consensus scientifique était que l'évolution de
tout système mécanique pouvait être décrit à l'aide
d'équations différentielles - comme celles
ci-dessus. Celles-ci pouvaient être difficile (voire
impossible) à résoudre, mais en théorie, si l'on
connaissait parfaitement l'état initial d'un système
mécanique et ses équations d'évolution, on pouvait
donc prédire l'état du système à n'importe quel temps
futur.C'est essentiellement ce que raconte le théorème de Cauchy-Lipschitz, sur l'unicité de la solution d'une large classe d'équations différentielles. Il s'agit d'une vision purement déterministe du monde physique
L'usage des ordinateurs semble renforcer cette
opinion : s'il n'est pas possible de résoudre
explicitement les équations d'évolution, on peux
toujours les simuler - c'est d'ailleurs exactement ce
qu'essaye de faire l'application sur cette page.
Henri Poincaré, étudiant des problèmes de mécanique céleste, est le premier à formuler, à la fin du XIXème siècle, une intuition qui se rapproche de ce que l'on appelle ajourd'hui chaos:
Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l'univers à l'instant initial, nous pourrions prédire exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaître la situation qu'approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c'est tout ce qu'il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu'il est régi par des lois; mais il n'en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit.
Henri Poincaré, Calcul des Probabilités (1912)
Ce phénomène a été redécouvert empiriquement - à l'aide des
premières simulations par ordinateur - par Edward Lorenz
dans les années 60, dans le cadre de la météorologie.
Il a effectivement montré que des variations infimes
dans les conditions initiales d'une simulation
pouvaient avoir des conséquences très importantes sur
l'évolution du système, puis popularisé cette idée
avec l'image choc de l'«effet papillon»«Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?».
Ce phénomène est illustré dans le simulateur ci-dessus
lorsque vous cochez la case «dépendance aux conditions
initiales». Un second pendule double est simulé - la
seule différence avec le premier est que l'angle
initial du premier pendule vaut 1/1000 de plus que
dans le premier pendule double. Au départ, on ne voit
pas la différence entre les 2 simulations.
Les figures suivantes donnent d'autres visions du phénomène.
Dans la première, on a simulé un pendule double où
toutes les conditions initiales sont nulles, sauf la
vitesse initiale du premier pendule qui varie (en
abscisses) entre 0 et 2. En ordonnée apparait la position angulaire du
premier pendule après avoir laissé évoluer le système
un certain temps ($t=15s$ environ). L'animation qui
suit fait varier ce temps $t$ entre 0 et 15s.
On constate que si la vitesse initiale est petite ($\leq 1$ environ ici), le système se comporte de façon déterministe et qualitativement prévisible (une petite modification de la condition initiale entraine une petite modification de l'état du système au temps $t=15s$)
De même si l'on considère des vitesses initiales plus grandes, et des temps $t$ petits : au début de l'animation, le graphe obtenu reste très régulier.
Mais pour des vitesse initiales plus grandes
qu'environ 1, et pour des temps plus longs, on voit apparaitre un comportement chaotique. Sur l'image obtenue à $t=15s$, une variation de 0.01 sur la vitesse initiale entraine des effets très importants sur la position obtenue. Le comportement du système n'est plus prévisible.
Le même type de phénomène apparait dans de très
nombreux domaines, en particulier en météorologie - ce
qui explique que passé un certain horizon temporel
(typiquement 1 semaine), il devienne impossible de prédire
avec précision la météo, quelquesoit la précision des
mesures à disposition.
La découverte de ce type de comportements est
probablement l'une des ruptures épistémologiques majeuresL'autre étant la mécanique quantique, qui d'un certain point de vue, montre que le processus de mesure physique est aléatoire à l'échelle microscopique. du XXème siècle dans
la vision déterministe de la physique classique. La
notion même de causalité est bousculée - si «le battement d'ailes d'un papillon au Brésil provoque une tornade au Texas» - on ne peut pourtant pas sérieusement soutenir qu'il en est la «cause» ! Dans un système chaotique, la chaine des causalités est tellement complexe, brouillée, et sensible à toute micro-variation qu'il devient impossible d'en démêler les fils.
Un système chaotique ne fait pas n'importe quoi...
Le fait qu'un système soit chaotique implique que le
comportement précis d'une trajectoire de ce système (à
partir de conditions initiales) n'est pas
prévisible. Mais il est tout à fait possible d'obtenir
des propriétés de cette trajectoire.
Prenons
par exemple le cas du pendule double. Il s'agit d'un
système à 4 variables, $\theta_1$, $\theta_2$,
$\dot{\theta}_1$, $\dot{\theta}_2$ - et l'espace des
phases est donc de dimension 4. Mais le système ne va
pas pouvoir se retrouver dans n'importe quel point de
cet espace : la conservation de l'énergieNon respectée dans le simulateur ci-dessus ! Pour des raisons d'erreur d'approximation numérique, elle à tendance à décroitre au fil de la simulation... implique que
si l'on connait $\theta_1$, $\theta_2$,
$\dot{\theta}_1$, on en déduit $\dot{\theta}_2$ (au
signe près). Le système est donc contraint d'évoluer
sur une partie très restreinte de $\mathbb{R}^4$.
Dans certains cas C'est le cas du fameux «attracteur étrange» des équations de Lorenz., on peut montrer que toutes les trajectoires du système étudié se rapprochent nécessairement d'une «structure limite attractrice» qui occupent une portion très restreinte de l'espace des phase. On ne peut pas savoir exactement où est le système à un temps donné, mais on peut dire qu'il est très proche de cette structure attractrice.
Terminons avec quelques (belles) images. Pour les
réaliser, on a utilisé le simulateur ci-dessus, avec
des conditions initiales $\theta_2'(0)=0$ et
$\theta_2(0)=0$, et en faisant varier $\theta_1(0)$ et
$\theta_1'(0)$, qui correspondent respectivement aux
ordonnées et aux abscisses. En chaque point de
l'image est alors indiquée la position angulaire
$\theta_1(t)$ atteinte par le premier pendule au temps
$t=9$, avec un code couleur indiqué sur la droite des
images.
La première image est une vue d'ensemble, pour des
plages de conditions initiales assez larges. L'image
obtenue n'est pas «aléatoire», et certaines zones
présentent même une forte régularité (c'est le cas
pour des petites vitesses). Dans ces zones, le comportement n'est pas chaotique.
Les images suivantes sont obtenues par zooms successifs
sur des zones qui paraissent intéressantes. On constate que l'on garde un niveau de complexité important en changeant d'échelle, ce qui est caractéristique des structures fractales. Celles-ci émergent fréquemment dans l'étude de systèmes chaotiques.